Samedi matin, des tirs nourris ont crépités à Kaloum, centre administratif de Conakry. La maison centrale de Coronthie où se trouvent plusieurs détenus célèbres a été attaquée par un groupe d’hommes armés non encore identifiés. Le capitaine Moussa Dadis Camara, ex-chef de la junte de 2009, sorti de prison par ce commando a été retrouvé dans l’après-midi et a été ramené en prison.
« Il était environ 5H00 du matin. Des hommes lourdement armés ont fait irruption à la maison central de Conakry », a dit le ministre de la Justice Alphonse Charles Wright. « Ils ont réussi à partir avec quatre accusés dans le procès des évènements du 28-Septembre (2009), notamment le capitaine Moussa Dadis Camara », a-t-il dit.
Il a assuré que les frontières étaient fermées. « Je dis au peuple de Guinée qu’ils seront retrouvés partout où ils seront », a-t-il déclaré.
Un des prisonniers sortis, le colonel Moussa Tiegboro Camara, secrétaire d’État chargé de la lutte contre la drogue et le crime organisé sous Dadis Camara, a été repris, a-t-il dit. L’avocat du détenu Me Jean Sovogui a assuré qu’il avait échappé à ce qu’il a présenté comme ses « ravisseurs ».
Samedi après-midi, l’armée et l’avocat de l’ex-dictateur Dadis Camara ont annoncé qu’il avait été retrouvé et ramené en prison.
« Le capitaine Moussa Dadis Camara a été retrouvé sain et sauf et reconduit en prison », a dit à l’AFP le directeur de l’information des armées (Dirpa) Ansouma Toumany Camara, sans préciser les circonstances de la capture.
Seul le colonel Claude Pivi reste introuvable sur les trois ou quatre hommes (selon les sources) tirés de prison au cours d’une opération commando, a dit le directeur de la Dirpa.
Il « est activement recherché », mais « il n’a aucune chance de quitter le pays puisque Conakry est quadrillée », a-t-il ajouté.
Dans la matinée, l’avocat de Moussa Dadis Camara évoquait la possibilité que son client ait été emmené contre son gré.
« Je continue de penser qu’il a été enlevé. Il a confiance en la justice de son pays, c’est pourquoi il ne va jamais tenter de s’évader », a-t-il ajouté en faisant référence au procès actuellement en cours.
« Sa vie est en danger », assurait-il.
L’opération a secoué Kaloum, quartier de la présidence, des institutions, des affaires et d’un certain nombre d’ambassades, mais aussi de la prison centrale.
L’armée a affirmé sa fidélité à la junte en place depuis septembre 2021 et appelé la population au calme. L’état-major a assuré dans un message diffusé en boucle sur la télévision d’Etat que la situation avait été « rapidement maîtrisée et ramenée à la normale ».
Dans un communiqué lu à la télévision d’Etat, le chef d’état-major général des armées, le général Ibrahima Sory Bangoura, a présenté ce raid comme une tentative pour « saboter » l’action de réforme menée sous la conduite du colonel Doumbouya.
Outre Moussa Dadis Camara et Moussa Tiegboro Camara, les sites d’information ont fait état de l’évasion de Claude Pivi et Blaise Goumou, également jugés parmi une dizaine d’anciens responsables militaires et gouvernementaux pour le massacre de 2009.
« Le centre-ville est bloqué depuis l’aube, pas d’entrée ni de sortie », a déclaré un commerçant aux premières heures, également sous le couvert de l’anonymat.
« On voulait aller au port où je travaille, mais nous avons été empêchés (de passer) à l’entrée de la presqu’île de Kaloum, où des blindés ont été déployés », a-t-il ajouté.
Plusieurs témoins ont rapporté que les rues étaient désertes et que des blindés avaient été déployés.
Kaloum, situé sur une péninsule, est le siège de la présidence, du gouvernement, des institutions, du quartier général de l’armée mais aussi de la prison centrale. Certains témoignages ont localisé les tirs près de la prison mais aussi du pont du 8-Novembre, noeud routier crucial pour entrer et sortir du centre.
Un responsable de l’aéroport, éloigné du centre, a indiqué que les avions n’avaient pas décollé samedi matin, les personnels de navigation n’ayant pu rejoindre la plate-forme aéroportuaire depuis Kaloum, où ils passent communément la nuit.
Moussa Dadis Camara en plein procès
Le coup d’Etat du 5 septembre 2021 est l’un des nombreux putschs et tentatives de putsch qui ont secoué l’Afrique de l’Ouest depuis la prise du pouvoir par des colonels au Mali en août 2020.
Les tirs dans le centre de Conakry interviennent alors que la Guinée, pays à l’histoire politique tourmentée depuis l’indépendance vis-à-vis de la France, tient le procès de l’ancien dictateur Moussa Dadis Camara, détenu dans le centre de la capitale depuis le début des audiences en septembre 2022.
Le capitaine Camara et une dizaine d’anciens responsables militaires et gouvernementaux y répondent d’une litanie de meurtres, actes de torture, viols et autres enlèvements commis le 28 septembre 2009 par les forces de sécurité au stade du 28-Septembre dans la banlieue de Conakry, où s’étaient réunis des dizaines de milliers de sympathisants de l’opposition, et aux alentours.
Au moins 156 personnes y ont été tuées et des centaines blessées, et au moins 109 femmes violées, selon le rapport d’une commission d’enquête mandatée par l’ONU.
Après le putsch de 2021, le colonel Doumbouya s’est fait investir président et s’est engagé sous la pression internationale à remettre le pouvoir à des civils élus dans un délai de deux ans à partir de janvier 2023.
Les Forces vives de Guinée, collectif de partis et d’organisations d’opposition ont dénoncé des engagements non tenus et une dérive autoritaire, évoquant une « dictature naissante ».
Par TV5MONDE ET AFP